Rea au Temple de la renommée
Un entraîneur de curling en fauteuil roulant intronisé au Temple de la renommée paralympique canadien
Les lumières étaient éteintes au Prince George Golf and Curling Club, où Joe Rea venait de terminer sa partie de ligue. Ses coéquipiers et amis curleurs avaient quitté le club, ou étaient montés au bar, mais Rea est resté sur la glace. Il a placé une chaise sur un morceau de tapis au centre de la piste, s’est assis et a utilisé une tige de lancement empruntée pour lancer des pierres jusqu’à l’autre bout.
En 2003, Rea a ainsi vécu sa première expérience de curling en fauteuil roulant. À l’époque, il n’existait pas de manuel de référence sur le sport; sans le savoir, Rea venait de commencer à l’écrire. Seize ans plus tard, il a été intronisé au Temple de la renommée paralympique canadien, lors d’une cérémonie à Vancouver, le 19 novembre dernier. Cet entraîneur de curling en fauteuil roulant – ils ne sont que cinq entraîneurs à être intronisés au pays – en a fait du chemin depuis ses débuts dans le sport.
«J’étais assis là, dans le noir, à lancer des pierres, en pensant que ce n’était peut-être pas la bonne façon de faire ça, mais que j’allais essayer», raconte Rea.
Rea, un joueur adepte de la compétition et un entraîneur accompli aux niveaux provincial et national, s’apprêtait à enseigner une clinique sur le curling en fauteuil roulant pour la première fois, et voulait acquérir autant d’expérience que possible. La célèbre commentatrice de curling Linda Moore, qui était directrice générale de Curl BC à l’époque, avait demandé à Rea si l’enseignement l’intéressait. Bien que ni l’un, ni l’autre ne connaisse grand-chose au sujet de ce sport à l’époque, ils y voyaient le potentiel pour développer des athlètes de niveau international dans la province.
Rea a commencé à développer le programme de curling en fauteuil roulant de la Colombie-Britannique, puis a organisé le premier bonspiel de curling en fauteuil roulant de la province dans sa ville natale de Prince George, C.-B. Il a éventuellement atteint le niveau d’entraîneur national, menant son équipe à la finale du Championnat canadien en 2004.
Le directeur de la haute performance à Curling Canada, Gerry Peckham, a invité Rea à joindre l’équipe nationale de curling en fauteuil roulant pour le Championnat du monde 2005. L’année suivante, Peckham a nommé Rea comme entraîneur national du programme de curling en fauteuil roulant, ce qui lui a fait atteindre des sommets sans précédent dans le curling en fauteuil roulant au pays.
De 2006 à 2014, Rea a été l’entraîneur des équipes canadiennes qui ont remporté trois médailles d’or consécutives aux Jeux paralympiques (2006, 2010, 2014) et trois championnats du monde (2009, 2011, 2013). Parmi les faits saillants de ces années dorées, mentionnons une victoire aux Jeux paralympiques en sol canadien à Vancouver en 2010, et une séquence victorieuse de 11-0 au Championnat du monde 2011 – la plus longue séquence du genre dans l’histoire de ce championnat mondial.
«Il a l’esprit compétitif, était attiré par la communauté du fauteuil roulant et a contribué de façon importante, autant au niveau technique que stratégique, à notre approche», ajoute Peckham.
Rea a compris rapidement qu’il ne pouvait pas simplement transférer le curling pour athlètes non handicapés à la version en fauteuil roulant. Un gel précis ne peut pas être facilité par les brosseurs au curling en fauteuil roulant, de sorte que Rea a élaboré une stratégie pour amener les joueurs canadiens à lancer dans un rayon de 5 à 10 pieds, forçant leurs adversaires à réussir des lancers précis plus difficiles.
Il a installé un poteau sur le fauteuil de la triple médaillée d’or aux Jeux paralympiques Sonja Gaudet, lui permettent de lancer la pierre avec plus de force, tout en l’aidant à garder ses épaules droites. Tous les pays utilisent ce dispositif maintenant.
«Les habiletés de chaque athlète sont différentes, et Joe a pris le temps avec chaque individu pour l’aider à lancer la pierre aussi efficacement que possible», souligne Gaudet.
Rea a aussi travaillé avec des scientifiques pour déterminer la longueur idéale de la tige de lancement pour une efficacité maximale.
«Rea a noté plein de différences subtiles, reprend Peckham, comme la position du fauteuil, l’angle d’attaque, des techniques pour frapper en accélérant la pierre, des techniques pour les placements – mais aussi beaucoup d’aspects de la stratégie parce que toutes les facettes du jeu doivent être adaptées au curling en fauteuil roulant pour que les athlètes connaissent le plus de succès. Il se préoccupait toujours de faire des ajustements pour permettre aux athlètes de jouer à leur plein potentiel.»
Au fil des années, Rea s’est occupé des aspects techniques du jeu, et a reçu des conseils de la part de sa mentor dans le rôle d’entraîneur, Elaine Dagg-Jackson. Rea a été rejoint par la leader de l’équipe, Wendy Morgan, qui, selon lui, a joué un rôle essentiel au niveau de l’entraînement et de la motivation de l’équipe, et par Laura Ferres, consultante en performance mentale. Ensemble, ce trio dynamique a comblé tous les besoins des athlètes au fil des ans. Ce tandem d’entraîneurs, combiné avec les performances exceptionnelles de plusieurs curleurs en fauteuil roulant – dont Jim Armstrong, Ina Forrest et Gaudet – a permis au Canada de devenir pratiquement imbattable sur la glace.
L’implication de Rea dans le sport n’est passé inaperçue, et ne s’est pas fait aux dépens d’autres aspects de sa vie. Malgré les attentes élevées pour remporter des médailles d’or, Rea est toujours resté fidèle à ses racines à Prince George, en continuant de travailler à la CanFor Northwood Pulp et de s’impliquer avec sa famille. Lui et sa femme Colleen ont accueilli plus de 28 enfants en famille d’accueil au fil des années, traitant chacun d’eux comme leur propre enfant.
«Pour un entraîneur, l’appui de la famille est essentiel. Mon épouse m’a appuyé complètement dans ce que j’ai fait, indique Rea. Sans une vie de famille harmonieuse, c’est impossible d’avoir du succès. Je peux honnêtement affirmer que ma vie de famille et mon travail ont été positifs, et m’ont permis de voyager et de travailler.»
Ses joueurs ont noté son dévouement non seulement pour le sport, mais envers tout le monde dans sa vie.
Gaudet pense parfois qu’elle a été privilégiée de partager ce parcours avec lui.
«Il veut faire une différence dans la vie des gens; nous avons eu la chance qu’il ait choisi de faire ça dans le domaine du curling en fauteuil roulant, assure Gaudet. Nous le voyons dans sa vie avec les jeunes que lui et Colleen ont adoptés, encouragés et aimés. Il veut juste faire une différence.»
Quand Peckham était à la recherche d’un entraîneur national pour le programme de curling en fauteuil roulant, il voulait une personne qui ne connaissait pas seulement les aspects techniques du jeu, mais qui pouvait aussi communiquer avec l’équipe. La personne choisie devait pouvoir gérer des personnalités différentes et savoir quand il fallait être ferme et juste, ou compréhensif et compatissant. Peckham savait que Rea était la bonne personne pour le job.
«Il répondait à tous les critères, assure Peckham. Joe, c’est un gars qu’il faut prendre le temps de connaître non seulement en tant d’entraîneur, mais aussi en tant qu’individu, en tant qu’homme dévoué à sa famille, que fier citoyen de Prince George, et que membre actif du Prince George Golf and Curling Club. Il fait une différence à tous les niveaux.»