Coup de folie avec Brad Gushue
Cette semaine, John cause avec un homme qui a vécu l’une des saisons de curling les plus réussies de mémoire récente : vice-champion au Brier, trois victoires de Grand Chelem, et le titre de Coupe Grand Chelem déjà en poche avant même que le dernier événement de la saison ne se conteste. Il a participé à 13 championnats Brier; il a gagné une médaille d’or aux Jeux Olympiques et, en vrai dur à cuire, c’est un des rares héros qui a une autoroute nommée en son honneur. Combien de personnes peuvent se vanter de ça?
Bienvenue à Coup de folie, une nouvelle série de Curling Canada où le comédien John Cullen s’entretient avec vos joueurs et joueuses favoris en vue de lancer une discussion où tous les coups sont permis. Chaque entretien consiste en huit questions, dont cinq questions régulières posées à chaque joueur ou joueuse, deux questions qui portent spécifiquement sur la personne interviewée, et une question qui aura été proposée par la personne interviewée précédemment.
1. Quel est le plus beau coup auquel tu aies jamais participé?
Brad Gushue : Je crois que ce devrait être celui du Brier de l’an dernier, contre Kevin Koe. C’était vers la fin d’une longue semaine de compétition, et nous avons réussi un…je ne sais même pas comment décrire le coup. Une espèce de double sortie à contournement (rire) pour signer la victoire. C’était énorme de notre perspective, puisque du coup, nous avions éliminé Kevin de la compétition, et c’était un des compétiteurs en lice, donc c’était vraiment énorme.
John Cullen: Ce coup a été tellement intéressant, dans le contexte de ces conséquences. Je me souviens de l’expression que portait Équipe Koe au visage, un mélange de déception mais en même temps un vrai respect pour le tir que tu venais de réussir.
BG: Je pense qu’il y avait une bonne dose de choc aussi. Nous autres, nous étions sidérés. Très peu de monde aurait anticipé le succès d’une telle tentative.
JC: En fait, avec du recul, on pourrait dire que le lancer s’est déroulé relativement sans soucis.
BG: Oui, cela m’a surpris aussi. Je ne mets pas une force énorme à mes lancers, mais en fin de compte cette pierre, elle avait de l’élan. Certainement, un coup mémorable, très difficile, et à vrai dire, nous nous sentions que nous avions laissé échapper le match. Nous avions bien joué, mais nous avons eu un 10ème bout minable, et nous pensions que nous avions perdu l’affaire. Mais nous avons réussi ce coup-là et rétrospectivement, quand on voit l’excitation et aussi le choc à nos visages, c’est un très beau souvenir.
2. Quel joueur ou quelle joueuse saurais-tu battre dans un combat corps à corps?
BG: Bof, je pense que je saurais combattre n’importe quelle joueuse qui soit. (rire) Est-ce que c’est correct de dire ça? [rire]
JC: [rire] Je suis pas certain; peut-être il y a une adversaire qui relèvera ton défi. [rire]
BG: [rire] Sais pas; je ne suis pas un gars qui aime le combat, donc il est difficile de nommer un adversaire; je n’y ai jamais pensé. Bon, j’opterai pour Brett Gallant. C’est ma réponse, c’est mon choix.
JC: Il y a pas mal de gars qui nomment leurs propres coéquipiers à cette question. Pourquoi Brett?
BG: Ben, je pense qu’il est un peu faiblard. [rire] Je l’ai vu au gymnase et je le côtoie souvent, donc je suis assez confiant que je saurais le battre.
3. Si une charcuterie tenait à baptiser un sandwich en hommage de toi, comment serait ce sandwich?
BG: Probablement du porc effiloché, un peu de fromage et probablement du bacon, on ferait aussi bien de créer quelque chose de vraiment mauvais pour la santé. Je raffolerais d’une telle création.
JC: Il faut dire que cela a l’air d’un vrai sandwich de skip. Je pense que si j’avalais ça avant une partie de curling, je tomberais raide mort. [rire]
BG: Non, non, c’est un repas de semaine de congé pour sûr. Il me faudrait une semaine juste pour le digérer. J’y mettrais un peu de sauce BBQ et de la mayonnaise : mets le paquet ou rentre chez toi, non?
JC: Et tu le nommerais comment?
BG: La Bonanza de Brad. Il y a pas mal d’ingrédients western, en hommage à Donny Bartlett.
4. Lequel de tous tes boulots a été le pire?
BG: Ce n’était pas un poste d’employé pour ainsi dire, mais je gérais un couple de stations-services pendant un bout de temps, et ce n’était pas très agréable. Participer à cette affaire, traiter avec la société affiliée, trop de stress.
JC: Pourquoi le stress? C’était la gestion, ou les responsabilités du poste?
BG: Un peu de tout. [rire] Les automobilistes qui décampaient sans payer l’essence, les vols à main armée, les affaires de personnel…c’était un défi. Et je suis sûr que tu peux imaginer qu’on n’avait pas exactement des diplômés de Harvard qui voulaient y travailler, donc c’était assez dur. Comprends-moi bien : nous avions de bons employés aussi, mais nous avons eu davantage de mauvais employés. [rire]
JC: Tu peux me raconter une histoire alléchante sur un mauvais employé? J’ai vu les types qui travaillent aux stations-services, et tu dois avoir une ou deux histoires à raconter.
BG: Ah, j’en ai beaucoup. [rire] À un moment donné, nous avions un gars qui travaillait le soir, de 22h00 à 10h00, et il invitait son copain à lui tenir compagnie. Bon, au petit matin, il s’endormait et il pensait que ce serait une bonne idée de faire une sieste et laisser son ami en charge – ce type n’avait aucune formation, ce n’était pas un employé. Le lendemain, en regardant les vidéos de surveillance, on s’est amusé à découvrir comment ça s’était déroulé. Et puis à un autre moment, nous avions un employé qui voulait nettoyer les planchers durant son quart de nuit, donc il a demandé à un client de surveiller la caisse pendant qu’il faisait ça. [rire] On ne pourrait pas inventer ces histoires.
JC: [rire] C’est fou. Un type qui se dit «bon, la propreté des planchers est bien plus importante que cette caisse pleine d’argent…» On se gratte la tête. [rire]
BG: [rire] Précisément. Je m’en fiche des empreintes de pas sur le plancher.
5. Est-ce qu’il y a quelque chose que tu as tenu comme vrai pendant longtemps, mais en fin de compte tu as découvert que tu avais eu tort?
BG: Ah, excellente question. Hm. Probablement la lutte professionnelle. Comme la plupart des enfants, je croyais fermement à la réalité de tout ça quand j’étais très jeune, en regardant Hulk Hogan et Andre the Giant. Mais dans mon cas je pense que j’ai refusé de voir la vérité bien après l’âge où j’aurais dû l’admettre. [rire]
JC: Quel âge?
BG: Ben, avant de te dire, je tiens à rappeler que le sport avait l’air bien plus réel ces jours-là, pas comme les spectacles farfelus de nos jours. Mais j’ai un peu honte d’avoir continué à croire que c’était réel. J’avais probablement environ quinze ans quand j’ai enfin abandonné cette notion. [rire]
6. [rire] Okay bon, c’est bien trop longtemps. Bon, normalement je pose des questions bêtes à cette étape de l’entrevue : je cherche des trucs compromettants pour te gêner, mais cette fois je meurs d’envie de poser une question particulière, que personne ne t’a posée auparavant, du moins à ma connaissance. Je n’essaie pas de déclencher un autre grand débat sur les balais, mais essentiellement c’est toi et ton équipe qui avez lancé cette révolution selon laquelle un seul joueur balaie, et maintenant c’est un phénomène répandu. Comment en êtes-vous arrivés à la notion qu’un balayeur soit plus efficace que deux?
BG: En effet, nous n’avons pas vraiment abordé cette question. Il faut dire que cela a connu un épanouissement bien plus rapide que nous aurions imaginé. Nous avons pensé qu’il faudrait au moins quelques compétitions avant que l’idée ne prenne racine, d’autant plus qu’on ne laissait pas de se moquer de nous au premier Chelem. Cette histoire s’est déroulée largement en Corée; nous y avons disputé notre premier événement de la saison, un tournoi relativement mineur, et nous avons été écrasés par une équipe coréenne, quelque chose comme 17-5. Nous avions justement commencé à utiliser les balais Hardline et nous n’arrivions à réussir aucun de nos tirs. Mes coups à effet extérieur fléchissaient et ceux à effet intérieur courbaient à gogo. J’essayais d’adapter mes lancers en conséquence, mais cela ne faisait aucune différence. Brett balayait à l’intérieur et dirigeait le tout.
JC: Donc vous vous êtes dit okay, repartons à zéro.
BG: Bon, ben, après la défaite à cet événement, nous sommes revenus à cette technique et nous l’avons travaillée, peaufinée. Nous étions conscients que la transition vers ces brosses nous permettrait de contrôler et manipuler la pierre, mais nous ignorions l’ampleur de cet effet. Nous avons fait l’essai avec deux balayeurs, et nous avons remarqué que l’effet se réduisait, et quand nous avons fait le changement vers un seul balayeur, nous nous sommes rendu compte que, si la condition de la glace était correcte, nous étions en mesure de faire parvenir la pierre exactement où nous voulions. Honnêtement, John, après nous être exercés un peu avec cette technique, nous savons que ça ne manquerait pas de faire du grabuge. Nous nous sommes entretenus longuement sur le pour et le contre, mais l’approche était trop efficace pour ne pas tenter l’expérience.
JC: Donc le premier Chelem se tient, et tu penses qu’on va se moquer de toi et que cela te donne effectivement une longueur d’avance sur la concurrence.
BG: On n’a pas tardé à se fâcher, probablement au deuxième Chelem. Et oui, on se moquait de nous aussi, mais nous avons commencé à entendre des plaintes au deuxième événement. Et puis six semaines plus tard, tout le monde fait comme nous. Nous étions ébahis : la tendance s’est enracinée si vite que ça. Et nous étions au courant des brosses à poils aussi. Nous avons fait l’essai d’une brosse à poils en Corée aussi, et nous nous sommes rendu compte que c’était plus solide que les anciennes versions, et que de telles brosses finiraient par être interdites. Ce n’était pas sorcier : il était assez facile de deviner le scénario qui allait se déployer.
7. Dans l’avenir, nous rappellerons que c’était vous autres qui aviez lancé cette tendance, et c’est une belle perspective. Maintenant, soyons un peu moins sérieux et parlons d’un phénomène que j’observe ces quelques dernières saisons. Tu deviens une espèce d’éminence grise sur le circuit, et l’un des…avantages de ce statut semble être l’attention enthousiaste des dames d’un certain âge. Tu te plais à l’idée que tu es pin-up dans des maisons de retraite aux quatre coins du pays?
BG: [rire] Ben, je suppose que c’est vrai, et que c’est ce qui se passe maintenant. Je pense que j’ai cette popularité pour deux raisons. Premièrement, quand nous nous sommes joints au circuit, ce groupe de dames était dans la cinquantaine et avait un vrai amour maternel pour nous. Donc il est naturel que ce même groupe vieillisse avec nous. Je pense que le moment clé a été quand j’ai téléphoné chez moi durant les Jeux Olympiques. J’avais gagné et je voulais appeler ma mère, et je pense que cela a réchauffé le cœur des vieilles d’un peu partout. [rire]
JC: [rire] Bon, tu dragues de sorte que les dames dans la cinquantaine te courent après? [rire]
BG: [rire] Non, non, il ne s’agit pas de draguer, aucunement. Évidemment je voulais parler avec ma mère, et la première chose que je voulais faire après notre victoire était de l’appeler, puisqu’elle était censée être avec nous en Italie, mais elle n’avait pas pu venir. Et les gens ont trouvé ça mignon, et depuis 2006 nous avons ce contingent spécial de dames d’un certain âge. C’est vraiment sympa, et on m’envoie des messages presque tous les jours sur Facebook, Twitter et en courriel, des gens qui nous suivent en nous appuient, et nous sommes vraiment reconnaissants. Et évidemment c’est un mouvement qui commence à se faire remarquer.
JC: Le terme ‘draguer’ me fait rire, puisque je pense que cela aurait l’effet tout à fait opposé sur une jeune dame dans un bar. «Tu veux attendre une minute – faut que j’appelle maman.»
BG: [rire] Oui, appeler maman n’est pas exactement une approche recommandée dans un bar. Je contemplais l’idée de le faire après le septième bout (du match pour la médaille d’or aux Jeux Olympiques de 2006); nous avions pris le dessus dans le match, et j’ai demandé à mon cinquième de me passer mon téléphone pour l’appeler tout de suite. C’était ce que je tenais à faire, et ma famille a vraiment apprécié ça. C’est un beau souvenir pour moi aussi. Et je pense que les gens ont compris et respecté cela.
8. Super. Et la toute dernière question vient de notre championne du monde junior, Mary Fay. Quel est le moment le plus drôle que tu aies vécu avec ton équipe?
BG: Il y en a beaucoup, mais le plus drôle de tous remonte probablement aux Jeux Olympiques. Nous allions justement sortir après avoir perdu un match au tournoi à la ronde, je pense contre la Finlande, et notre entraîneur ne l’a pas fait exprès, mais même involontairement Toby MacDonald a pourtant su remonter le moral des gars. Nous étions dans les vestiaires avant le match, et nous nous habillions. Il faisait froid dans l’aréna, donc Toby a mis ses caleçons longs, une chemise, un chandail, une veste et ses souliers, puis il a ouvert la porte et est entré dans l’aréna. [rire] Il avait oublié de mettre son pantalon. Il portait un vieux caleçon moulant, et il est parti comme ça. C’était hilarant.
JC: [rire] Incroyable. Il est sorti pendant combien de temps? Est-ce qu’il s’est rendu dans l’aréna avant que quelqu’un ne le remarque?
BG: Tu sais, même aujourd’hui, j’ignore encore où il est allé ce jour-là, mais il s’est absenté pendant deux bonnes minutes, puis il est rentré en trombe et nous avions le fou rire, et il nous a traités de bande de salauds. Mais cet épisode a vraiment fait relaxer les gars, et cela nous a aidés à nous préparer au prochain match.
JC: J’ai le sens qu’il l’a fait exprès, peut-être?
BG: Toby était un coach de premier ordre, et il avait une réputation de faire des choses comme ça, comme coach. On ne savait pas pour sûr si c’était une erreur de bonne foi ou si c’était une ruse pour nous motiver. Je veux croire que c’était une erreur de bonne foi, mais on n’était jamais certain avec Toby.
JC: Fabuleux. Et dernièrement, tu peux me donner une question à poser au prochain invité?
BG: Certainement! La voici : quelle est la plus grande déception que tu as connue dans ta carrière de curling jusqu’à date?
JC: WOW. Tu ne mâches pas tes mots, Brad.
BG: Je suis certain que la plupart des gens posent des questions fort sympathiques, donc pourquoi pas agiter un peu? [rire] J’ai hâte de savoir comment on répondra.
JC: Formidable, et comme ça, c’est pas moi qui pose la question. J’apprécie beaucoup, Brad, et bonne chance et bon courage au dernier Grand Chelem de la saison!