L’histoire en train de se faire à North Bay
Quelques réflexions de Katherine Henderson, chef de la direction chez Curling Canada
Il y a quelques semaines, une belle dimanche après-midi, j’ai trouvé ma place dans l’aréna pour regarder l’affrontement de deux équipes médaillées d’or, au Mondial Ford de curling féminin à North Bay, Ont. Jennifer Jones et Anna Hasselborg, toutes deux appuyées par les mêmes formations qui les avaient élevées chacune à une médaille d’or olympique, disputaient le titre mondial devant un nombre record de partisans. L’histoire était en train de se faire devant mes yeux.
Tout au long de la semaine, nous avions croisé des partisans, des membres du comité local d’organisation, des militaires, des représentants de notre fédération internationale, des administrateurs nationaux et internationaux du sport, des politiciens de la région, des partenaires de radiodiffusion et de marketing, des directeurs touristiques et notre personnel de l’évènement. Tous étaient unanimes pour dire qu’on écrivait un nouveau chapitre dans l’histoire.
Cet affrontement de médaillées d’or a tenu ses promesses. Les lancers splendides, les manœuvres tactiques audacieuses, et l’intensité des athlètes de premier rang international ont tenu les partisans en haleine jusqu’aux derniers tirs. Énormément de partisans avaient fait le trajet à North Bay, pour établir un nouveau record de participation à un Mondial Ford de curling féminin tenu sur sol canadien.
Mais alors même que le match tirait vers son dénouement, je me suis rendu compte d’une autre histoire qui se déroulait sous mon nez.
J’avais parlé auparavant avec certains des proches des joueuses canadiennes et, en sachant qu’il y avait des bambins qui assistaient aux matchs, j’avais suggéré que la suite de Curling Canada, relativement spacieuse, serait une excellente perspective pour regarder le match pour la médaille d’or, pour les conjoints qui avaient des petits à leur charge. Il y avait de la place où les enfants pouvaient brûler un peu d’énergie ou s’étirer sur le plancher avec un livre à colorier, alors que les adultes auraient une vue plongeante sur les pistes. Bref, c’était l’endroit parfait pour regarder le match en compagnie des époux, des enfants et des parents de nos championnes nationales.
Et en plus, j’ai eu la chance de regarder l’histoire en train de se faire, de la perspective de quatre petites filles.
Mignonnes et pétillantes, ces enfants m’ont montré les pas de danse qu’elles venaient d’apprendre dans leur classe de danse à claquettes. Puis j’ai suivi des yeux la fascination d’une tout-petite qui transférait sans cesse son maïs soufflé entre un grand gobelet et un petit. Et puis il y avait une jeune sœur qui venait justement d’apprendre à manier un crayon, et qui faisait de son tout pour imiter le coloriage soigné de son aînée.
J’ai regardé leurs interactions avec leurs pères, qui surveillaient les activités et qui veillaient aux bonnes manières, aux collations et aux sorties aux toilettes pendant ces trois heures où leurs épouses brisaient des records sur la glace, devant une foule folle de joie et d’admiration pour la finesse du jeu.
Il y avait des petites-filles qui ont grimpé spontanément sur les genoux des grands-parents pour être tenues dans les bras ou donner un câlin, avant de sauter à nouveau sur le sol et reprendre le jeu ou l’activité qu’elles venaient de quitter.
Par moments, même avec les distractions du jeu et de la famille, les filles ont fait pause pour encourager leurs mères – «Allez maman!», comme si regarder un championnat du monde était aussi normal pour elles que jouer aux cartes-questionnaires ou manger des fruits découpés.
Le match a pris fin, le Canada a gagné et, à la grande joie du contingent dans notre petit nid, toutes les joueuses d’Équipe Jones, qui célébraient leur victoire sur la piste, ont levé les yeux pour chercher les membres de leurs familles qui jubilaient, agitaient la main et applaudissaient d’en haut.
Et alors même que les membres des médias entouraient nos championnes nationales et mondiales, les petites filles sont descendues dans les tribunes pour se blottir contre maman. Elles ont pris des photos avec leurs mères et les trophées; elles ont admiré les médailles, et elles ont savouré toute l’euphorie et le chaos qui est le propre d’un tel moment historique. Elles ont donné des câlins et des bisous, elles ont ri, elles ont souri pour les photographes, complètement investies dans ce moment triomphant.
Et moi, toujours en haut, j’ai regardé jouer cette scène sur la glace, et je me suis émerveillée en pensant que ces jolies charmantes petites filles – Camryn, Skyla, Isabella et Vienna – faisaient partie d’une plus grande histoire. Une histoire où des mères étaient fêtées comme championnes du monde, et où la célébration n’était aucunement amoindrie du fait qu’elles étaient mères et conjointes. C’était un moment où les pères – des professionnels accomplis, incluant des athlètes chevronnés à part entière – ont accepté volontiers un rôle de soutien, de telle sorte que leur conjointe pouvait grimper au podium et regarder non seulement les visages de leurs fervents partisans, mais également ceux des personnes qui l’aiment et la connaissent comme mères et filles et épouses.
J’ai réfléchi à ce que les bambins ont vu ce jour-là, dans l’aréna. Dans toute cette jubilation qui découlait de la victoire canadienne, est-ce que cette scène s’est gravée sur leur inconscient, de sorte que, lorsqu’elles rêveront à leurs propres objectifs et idéaux dans la vie, il y ait une notion de parentalité équitable et coopérative qui se rattache indéniablement à ces rêves?
En plus, une fois devenues mères, est-ce que les championnes ont un sens approfondi que ces moments mémorables qu’elles partagent avec leurs jeunes partisans et partisanes peuvent avoir un impact sensible sur la vie de ces derniers? Jennifer Jones a donné un câlin à Sara Moore, 12 ans, de North Bay, une partisane fervente, et ce faisant, elle a permis à cette jeune fille de savourer l’atmosphère de la grande victoire et les sentiments qu’éprouvait son héroïne. Les interactions de toute cette équipe avec les jeunes partisans et partisanes ont l’air tellement humaines, tellement authentiques. Je me demande si ces interactions avec des jeunes – qui expriment librement et sans façons leur admiration et leur enthousiasme devant les accomplissements de Jennifer, Kaitlyn, Jill, Dawn et Shannon – je me demande si cela encourage ces femmes à se regarder sous le même jour que les enfants le font, et si cela les amène en conséquence à rayonner davantage dans le cœur de leurs jeunes partisans.
Est-ce que je venais de vivre un de ces moments historiques où, dans le moment même, personne ne se rend pleinement compte de l’importance; où c’est seulement avec du recul que nous réalisons qu’un changement radical était en train de se déclencher?
Peut-être sommes-nous parvenus à un temps où l’intensité et le cran et l’entêtement à cibler un championnat du monde ne sont plus incompatibles avec une vie familiale heureuse. Peut-être que nous acceptons enfin la notion que les mères de famille qui rêvent grand et qui ne craignent pas d’être ambitieuses peuvent enfin être des références, des modèles de rôle et ce, précisément parce qu’elles sont aussi fières de mettre en valeur leur maternité qu’elles le sont de se parer d’une médaille d’or.
À partir de mon perchoir dans la suite, je regardais les médias et les partisans quitter l’aréna et les équipes de démontage qui se mettaient au travail. Et je voyais l’histoire en train de se faire alors que ces mères, ces championnes du monde, sortaient de l’aréna en tenant la main de leurs bambins.